F. Python: Empreintes. Entre politique et religion

Titel
Empreintes. entre politique et religion.


Autor(en)
Python, Francis
Reihe
Collection Archives de la SHCF / Nouvelle série 12
Erschienen
Fribourg 2012: Société d’histoire du canton de Fribourg
Anzahl Seiten
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Stéphanie Roulin, Departement für Historische Wissenschaften, Zeitgeschichte, Universität Freiburg (Schweiz)

Ce volume d’hommage au Professeur Francis Python remplace avantageusement la formule des «mélanges offerts à…». En proposant un florilège d’articles et de conférences de l’intéressé plutôt que les contributions de collègues, l’objectif de l’éditeur était triple: témoigner de l’amplitude scientifique de l’historien célébré ici, rendre accessible au public un échantillon significatif des pistes ouvertes par lui en histoire suisse et fribourgeoise contemporaine, et compenser un déficit éditorial imputable aux accaparements d’un enseignement fécond, privilégié au détriment de publications monographiques personnelles. Le lecteur appréciera le caractère tout relatif de ce déficit en consultant en fin d’ouvrage l’imposante bibliographie de F. Python. Il le pondérera encore à l’aune des 288 mémoires de licence et master, des quinze thèses de doctorat et des cinq projets de recherche qu’il a dirigés au cours d’une intense activité professorale à l’Université de Fribourg (1993–2012). Pour honorer ces dix-neuf années de carrière, autant de textes sélectionnés, dont cinq inédits. Le recueil s’articule autour de six axes de prédilection du chercheur: Le Sonderbund et ses suites, le catholicisme et la question sociale, le catholicisme politique, les débats d’idées durant l’entre-deux-guerres en Suisse romande dans les milieux estudiantins et personnalistes, les mutations de l’après-Deuxième Guerre mondiale et l’historiographie.

Le premier axe livre une fine analyse du rapport de l’élite fribourgeoise à son peuple et des équilibres entre familles politiques au prisme des changements constitutionnels dans le Fribourg pré- et post-sonderbundien, ainsi qu’à travers l’itinéraire tourmenté d’un modéré («Les zigzags du colonel Perrier»). L’historien relève un intéressant paradoxe selon lequel les élargissements successifs du suffrage sont décidés en dehors du peuple dont les textes constitutionnels se réclament pourtant très fort. Quelle que soit la dominante du moment (conservatrice, libérale modérée ou radicale), les décideurs tiennent «le peuple à l’écart», instrumentalisant telle pseudo-mobilisation populaire (1831) ou perpétuant une intrigante continuité en la recouvrant d’un vernis radical (1848). Le nouveau gouvernement a si peur du peuple qu’il parvient à le priver (seule exception parmi les cantons suisses!) de s’exprimer sur la nouvelle constitution fédérale. Ce peuple réputé docile n’est guère rancunier. Le retour de manivelle de 1856 est somme toute assez soft: consultés pour la première fois sur leur nouvelle constitution, les Fribourgeois ne se pressent pas aux urnes. L’historien interroge la perpétuation de cette frilosité à l’égard du peuple jusqu’à l’instauration de la République chrétienne de Georges Python et au-delà, jusqu’à son héritier spirituel Joseph Piller.

La cohérence des recherches de l’auteur se révèle dans des études ciselées sur des figures ecclésiastiques marquantes traitées dans les troisième et quatrième axes. Il ne s’agit cependant jamais de simples biographies. Une saisissante holographie du canton, des rapports de forces et des enjeux plus larges se dégagent en même temps que les reliefs individuels du Père Girard, «père» de la pédagogie fribourgeoise, du chanoine Schorderet, fondateur du journal La Liberté, du Père Berthier, cofondateur de la Faculté de théologie en 1889, ou encore de Mgr Marius Besson, évêque du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg de 1920 à 1945. Si une biographie de ce prélat reste peut-être à publier, F. Python en a donné les principales directions. Les pages qui lui sont consacrées ici complètent un important texte paru en 1991. Il n’est pas jusqu’à l’épopée de la succession de Besson qui ne soit décryptée, dans le cinquième axe. François Charrière est nommé évêque en octobre 1945, au terme d’une vacance de huit mois. L’auteur suggère un prudent attentisme de la part du Vatican, soucieux de l’évolution d’une crise essentiellement politique dont l’épicentre est à Genève. Déjà écartelés entre les tendances corporatistes et le syndicalisme chrétien-social, les catholiques sont divisés face aux dérapages du Courrier de Genève en faveur de l’Axe, à quoi s’ajoute une rivalité ravivée entre La Liberté et Le Courrier. À un moment où le catholicisme politique subit en Suisse une attaque en règle, Charrière apparaît comme l’homme de la situation pour calmer les divergences internes, faire le ménage au Courrier et contenter la gauche. L’analyse révèle toutefois entre les deux évêques non seulement des ruptures (en matière d’Action catholique, de gestion des biens du clergé et de sensibilité sociale), mais aussi des continuités qui nuancent grandement le portrait.

L’auteur témoigne d’un souci constant de décloisonnement en abordant sous un angle inédit son objet dans une dynamique franco-suisse, voire européenne. Malgré ou peut-être grâce à leur caractère biaisé, les considérations du Français Charles de Montalembert sur les catholiques suisses pendant la période troublée du Sonderbund offrent un point de vue original sur la guerre civile helvétique, et permettent d’en dégager les spécificités par rapport à l’incendie européen de 1848. Les articles sur l’accueil des congrégations françaises autour de 1905, sur les idées sillonnistes à l’Université de Fribourg et sur les relais de la revue Esprit en Suisse et leur impact sur la défense nationale spirituelle procèdent d’une même originalité. Enfin, la requête insistante d’un extrémiste de droite réclamant une encyclique contre les Juifs à Pie XII en 1949 est analysée dans le contexte de résurgence d’un antisémitisme qui avait été mis sous le boisseau après la découverte des camps de concentration.

Le dernier axe évoque l’épopée des livres d’histoire du canton de Fribourg aux XIXe et XXe siècles au miroir des rapports entre communautés linguistiques, ainsi que l’identité régionale et la question de la mémoire à travers l’exemple gruérien. Le volume se clôt symboliquement sur la leçon d’adieu prononcée en mai 2012, un «Plaidoyer pour l’histoire des temps présents» qui, loin de tout triomphalisme, constitue moins une défense de l’histoire ultracontemporaine que de l’histoire dans son ensemble. Pour conjurer le «présentisme» inquiétant (F. Hartog) qui caractérise nos sociétés, le contemporanéiste doit se faire médiateur et utiliser la relative faveur dont jouit sa discipline auprès du public pour le convaincre de la nécessité de «creuser plus profond dans le passé pour expliquer et faire comprendre les racines des phénomènes et des événements» (p. 381). Un défi d’autant plus vital à relever que la dictature des mass-médias et les appels impérieux au devoir de mémoire la disputent à une dangereuse amnésie. Ces pressions pèsent fortement sur le travail de l’historien et ce dernier aurait tort de considérer comme acquise sa capacité à «cerner les enjeux de l’actualité».

Zitierweise:
Stéphanie Roulin: Rezension zu: Francis Python: Empreintes. Entre politique et religion. Fribourg, Société d’histoire du canton de Fribourg, Collection «Archives de la SHCF» (nouvelle série, vol. 12), 2012. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 63 Nr. 1, 2013, S. 148-150.

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Zuerst veröffentlicht in

Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 63 Nr. 1, 2013, S. 148-150.

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